jeudi 26 mai 2011

Une marche

Il inspira profondément et prit son élan. Une jambe fut lancée à travers l’espace : atterrissage parfait. L’autre suivit aussitôt. Prenant de l’assurance, il recommença. Bientôt ce ne fut plus qu’une routine. Les pas qu’il égrenait le long du trottoir produisaient un son mat qui ne se répercutait pas, espace ouvert oblige. Enfin la monotonie de la marche eut raison de son attention; son esprit dériva, sa vigilance remonta de ses pieds, couru dans ses jambes, traversa son torse et vint se fixer dans ses yeux.

C’est alors qu’il se mit à voir le monde qui l’entourait. D’abord, il vit la rue, tranquille mais aussi vide, probablement victime du temps gris et humide. De temps en temps y passait une voiture; presque toujours, elle roulait trop vite. Son regard se faufila à travers les plates-bandes des voisins. Certaines étaient négligées, d’autres fleuries, ou encore clairsemées de déchets, ces laissés-pour-compte de la fonte des neiges. Un vélo rouillé encore arrimé à une clôture côtoyait un bac de recyclage oublié. Quelques pas plus loin, les branches d’une haie s’avancèrent vers lui, cherchant un peu de réconfort dans les mailles de son gilet.

Ses yeux, confortés dans leur curiosité, se mirent à écumer les fenêtres pour en extraire des émotions fortes. Surpris par une nouvelle sensation, il se fit désarçonner à la première tentative par un chat enjôleur. Il se pencha pour lui asséner une caresse, puis reprit sa quête. Un téléviseur allumé attira son attention. L’écran, bien qu’indéchiffrable, lui renvoyait des couleurs chatoyantes qui le firent sourire. Une autre fenêtre donnait sur une cuisine, où une famille s’apprêtait à entamer le repas du soir. Enfin, captivé par un couple de personnes âgées en proie à une discussion désinvolte, il s’aperçut un peu tard qu’une ménagère le fixait depuis son balcon, au troisième étage. Il détourna la tête, gêné de s’être fait surprendre dans ses intrusions visuelles.

Montant le volume de sa musique, il accéléra le pas et se rappela soudain de l’effort que fournissaient ses jambes pour le mouvoir. Reconnaissant envers leur dévotion, il permit à son pied gauche de rosser un gros caillou immobile. Il leva la tête; déjà, il avait atteint le coin de la rue. Il tourna vers la gauche et s’immobilisa près de l’arrêt d’autobus. Il croisa un passant qui promenait son chien, à qui il fit une grimace pendant que le maître regardait ailleurs.

Il tapait du pied quand l’autobus arriva. Il enjamba la distance qui le séparait de la plateforme, et alors qu’il s’engouffrait dans l’habitacle, sa chanson préférée débuta.