dimanche 4 septembre 2011

La feuille blanche qui tue


Il est cinq heures. La feuille est à peine gribouillée. Mais bordel qu’est-ce que j’attends, qu’elle se remplisse d’elle-même, et qu’ensuite on me balance le Nobel de la littérature, comme ça, sans efforts? Merde je mets plus d’enthousiasme à me faire les ongles d’orteil qu’à essayer de trouver ne serait-ce que le commencement d’une idée. Pourtant, c’est pas comme si j’en connaissais pas, des mots. J’en ai tout plein dans la tête, suffit que je ferme les yeux pour que des phrases m’envahissent, tourbillonnent dans les oreilles, et si j’ai le malheur de les écouter, j’suis prise de nausée tellement ils m’étourdissent.

Mais des idées, ça c’est plus difficile. Je connais des histoires incroyables, j’ai vu des lieux magnifiques, assisté à des moments uniques, mais les raconter? Pas capable. Il faut que j’arrête de penser, que ne fasse rien d’autre que me vider sur la feuille, comme un verre qu’on renverse brusquement, sploush. Un gros verre, même. Ouais, un gros verre vide tu veux dire. Si seulement je pouvais purger tous ces mots qui me grugent.

Tous les jours, des détails attirent mon attention. Comment les mettre en scène de façon cohérente, pour transmettre avec exactitude ce sentiment qu’ils m’ont inspiré? Tiens, par exemple, l’autre jour, au sortir du métro à la station Mont-Royal, je vois une fille asiatique qui s’élance pour entrer vite vite avant que les portes ne se ferment. Pas de chance, elle manque son coup, et de dépit, elle saute sur place, juste un peu, à la manière d’une gamine en crise. Ses amis, qui la talonnaient, rient un peu d’elle, et elle rit aussi. Voir des gens rire je trouve ça si beau.

Tous ces sourires, toutes ces faces bêtes, tous ces faux-pas que les gens font en espérant passer inaperçu, je les remarque, je les enregistre, c’est comme si j’étais attirée par eux. Je me sens comme un colibri, un imbécile de colibri attiré par les petites couleurs de la vie.

Souvent je me demande si les autres pensent comme moi, aux mêmes trucs que moi, s’il leur arrive de surprendre de ces moments fugaces, s’il leur arrive d’en rire à l’intérieur. Avant, j’aurais cru que oui, que ce que je vois, tout le monde peut le voir. Maintenant je n’en suis plus si sûre. On nait tous avec des dispositions différentes, et par naître, je ne veux pas nécessairement dire le passage du jour 0 au jour 1 de la vie, mais plutôt l’acquisition des aptitudes qui font de l’humain un être social. (Parenthèse : SVP pas de débat innéisme VS constructivisme ici, ok? c’est pas ça le but).  Mais il faut admettre que tout n’est pas fait pour tout le monde, non seulement en termes de talent, mais aussi en termes d’intérêt. Dans une société où tout le monde veut pouvoir tout faire tout le temps, ça m’a pris longtemps avant de me rendre compte que ce n’était ni possible, ni souhaitable.

Mais bon, je reste curieuse d’entendre vos anecdotes-instantanés, même si pas bien contés, même si pas si drôles que ça, et je reste ouverte à vos suggestions de sujets, parce que là, maintenant, vraiment, y’a rien qui me vient.