Des cartons, des cartons partout. Dans celui-ci, des livres, et celui-là, des objets divers, artefacts du quotidien ou souvenirs des voyages lointains. Derrière, un grand sac poubelle plein de vêtements. L’ordinateur de bureau sied dans un coin, débranché, inutilisable. La valise est ouverte au milieu du lit, et autour s’amassent les draps défaits pour la dernière fois. Bientôt, les t-shirts sont pliés et enfouis dans le grand bagage. Deux pantalons roulés sont lovés entre la serviette de douche et le manteau de pluie. Les bas font chambre à part, pendant que l’unique paire de boxer multicolore vient égayer ces mornes apparats.
Tu t’en vas.
La chambre sera vidée, et quelqu’un d’autre viendra s’y installer. Ce ne sera plus ta chambre, elle ne renfermera plus ton sommeil, ne verra plus tes réveils, ne récoltera plus tes rêves. Ton odeur s’estompera, la décoration sera refaite, peut-être même seront bougés les meubles. Au lieu de tes lourdes espadrilles, de minces sandales séjourneront désormais dans le vestibule. L’arôme de ta cuisine et les notes de ta musique cesseront d’imprégner l’atmosphère pour longtemps.
Tu t’en vas.
Hier encore, ton vélo se tenait sagement barré à la rampe du balcon. Hier encore, tu arpentais les rues sur ton noble destrier, à la course ou au pas, en mission ou faisant tes commissions. Mais le chemin cette fois est différent. Les valises sont prêtes, et tu pars au loin. Les boîtes peu à peu disparaissent du chemin; le capharnaüm laisse place au vide, l’effervescence, à la sérénité. Tu veilles à ne rien laisser derrière, pour que ni les regrets, ni les blessures n’assombrissent ton nouvel horizon. Les terres promises ont à tes oreilles des noms exotiques qui évoquent de doux paysages de montagnes, de champs colorés, de ciels immenses, et perdu dans tes pensées, un sourire se glisse sur tes lèvres.
Tu t’en vas, mais tu ne seras pas celui qui reviendra. La valise se manie agilement sous l’enthousiasme de ta prise. Un dernier regard à la chambre, une dernière tentative de mettre le doigt sur ce que tu as oublié, puis tu franchis les quelques pas qui te séparent de la porte. Cette distance, c’est le présage d’une année d’odyssées. Le seuil est franchi. Le regard que tu poses sur la ville qui jusqu’alors était tienne change déjà. La rue que tu parcours tous les jours, la ligne de métro que tu connais par cœur, la foule bigarrée si chère à ton quartier, tout te semble d’une vivacité inhabituelle, tout te laisse une profonde impression de solennité. De ce monde qui t’a vu grandir, tu réalises qu’il reste tant à découvrir, et l’idée que ta quête est infinie t’enivre un peu plus.
Enfin l’aéroport s’offre à ta vue, première des étapes qui se succéderont trop vite. Ton bagage à la main, tu sembles être un voyageur parmi tant d’autres, presque anonyme. Mais cette soif qui te consume et te pousse à chercher jusqu’au bout du monde la suite de l’histoire, cette soif tu la partages avec tous ceux qui, comme toi, quittent leurs origines et espèrent trouver au loin autant qu’ils auront semés en chemin. Dans ta tête, le verdict est tombé : la route à perpétuité, tu es condamné à partir et à tout dévorer.
Tu t’en vas, mais tu reviendras, un peu plus grand, un peu plus beau, un peu plus sage.
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