Montréal-la-grise s’offre sous l’éclairage glabre de ses
bétons armés. L’enfilade ininterrompue de laideurs urbaines fait craindre la
promesse d’éternels songes d’un ennui inéluctable. Le retour au bercail est
teinté par le filtre d’un air chargé de toutes les pluies à venir. Déjà, le
ciel lourd semble se tenir prêt pour la grande démonstration, tel un
trouble-fête qui fait irruption dans une salle de bal désertée. Le mardi soir
reflète sa vacuité hebdomadaire sur les eaux acier du lac Saint-Louis. Bientôt
s’élèveront les gratte-ciels du centre-ville pour exhiber dans une attitude
affectée une prétention de civilisation au passager de l’autobus voyageur. Tu
penseras alors que ce n’était pas la peine d’ériger ces ex-voto de métal et d’illusions
à l’honneur des dieux en lesquels tu ne crois même plus. Leurs exploits sont
apocryphes – tu le sais depuis longtemps déjà – mais semblent tout de même séduire
ceux qui ne cherchent qu’à se perdre et se dissoudre dans l’enchantement d’une
religion blasée. Puis viendront les files de visages tristes attendant l’autobus,
les premières lueurs des néons venus pour vaincre la nuit, et tu verras comment
tout ce qui relève du divin a bien peu de poids face aux maux du quotidien.
L’autobus continue de filer sur l’autoroute maintenant fade,
toute délestée qu’elle est de ses réminiscences diurnes. Les gouttes de pluie qui
tracent de minces chemins sur les vitres deviennent bientôt des successions
sans fin de rivières qui bravent la gravité pour strier le paysage de leur
géométrie grotesque. La plainte que tu portes en toi – qui a grandit en toi, se
nourrissant de ces kilomètres, de ces heures, de ces pensées – se fait dès lors
entendre au creux de tes reins, dans tes paumes sèches, sur ta nuque et jusque
sous tes côtes, emprisonnée par cette cage naturelle que tu voudrais parfois
voir voler en éclats. C’est alors que tu prendras conscience de l’absence que
tu voulais ignorer et qui malgré tout s’impose à ton esprit : Montréal est
remplie de vide parce qu’elle ne sait pas recréer le bonheur que t’avaient
apporté ces quelques jours où tu avais pu exister en n’étant personne.