J’ai toujours admiré secrètement les orgues qu’on laisse au bord du chemin. Ceux-ci sont vieux et ont fait leur temps; ceux-là sont modernes mais trop encombrants. Tenez, l’autre jour, au retour d’une commission, j’en ai croisé un qui m’a arraché un sourire. Il faut dire qu’il faisait beau, et que mon cœur a une inclination naturelle envers les couleurs d’automne.
L’orgue se trouvait à même le trottoir, devant un des nombreux quadruplex qu’on trouve sur ma rue, de ce type qui pullule dans le quartier. L’instrument semblait en bonne condition, pourtant il portait un panneau indiquant «défectueux». Intriguée, je portai attention aux petits caractères lorsque je passai tout à côté. Le propriétaire de la bête s’était donné la peine d’inscrire «À donner ou poubelles – volume coincé au maximum». Un tas d’images m’envahirent l’esprit : la tête que faisaient les voisins quand on osait caresser l’orgue; le dépit du mélomane déçu qui n’ose poser ses mains sur l’objet de convoitise de peur que ce dernier ne trahisse à grands cris l’amateurisme de son disciple; enfin, l’horreur qu’inspirant ces glauques mélodies aux enfants du quartier.
Et alors que je m’éloignais de cet orgue taquin, déjà un homme descendait de son camion et s’approchait de l’instrument, débattant en lui-même l’ampleur de l’embarras que lui causerait ce jouet…