jeudi 17 février 2011
les p'tits pains sauveurs de couple
mercredi 9 février 2011
Spécimen #3: la souffleuse
Je suis un danger public.
Vous tournez le dos, et hop! j’ai déjà tué votre chien. Ne laissez surtout pas mamie sans surveillance…
Mes mâchoires d’acier broient tout ce qui leur tombe sous la dent, sans aucun scrupule. Je hais les gens qui se me barrent la route, et ma vengeance n’est jamais très loin. Vous avez déjà vu ma tête dans les journaux sous la rubrique « recherchés ». Je suis une criminelle du grand chemin, de l’avenue commerciale et de la rue tranquille. Ah! Comme il est doux de lire la peur dans tous ces petits yeux lorsque j’active ma spirale infernale…
Mais un jour, on m’a surpris en flagrant délit. J’étais libre et puissante, on m’a réduite à l’esclavage, on m’a mariée de force. Attelée à longueur de journée avec un camion abrutissant, je roule tranquillement, inexorablement, à travers les rues de la ville, une après l’autre, après l’autre, après l’autre… Si ce n’était que ça, ce ne serait pas si pire! Mais je dois continuellement me taper le discours de Big Benne sur sa sainte de mère et ses rêves brisés, ses idiotes déclarations d’amour et les railleries des collègues sur notre effarante liaison. Lorsque je mets tout mon cœur et toutes mes énergies à mâcher, broyer et recracher cette neige, c’est ma rage que j’exprime et que j’expie! Seulement, ces mastodontes sont aveugles devant mes tendances destructrices et ne font que me féliciter bêtement pour mon travail impeccable. Seule la gratte comprend la fureur sourde qui gronde dans mes entrailles, elle qui savoure en silence le pouvoir que lui procure sa force. Peut-être un jour nous unirons-nous pour recréer un monde meilleur ailleurs, là où la nourriture est abondante et les automobilistes, croquant sous la dent?
J’endors les soupçons avec de beaux discours sur les bienfaits du vivre-ensemble, les ravissements de la collectivité et les plaisirs de la camaraderie. Je mange mes émotions, je choisis mes combats, mais surtout, je planifie ma libération. Je sais que les regards sont braqués sur moi, moi la folle, l’abatteuse de travail, l’abatteuse tout court. Les rumeurs courent dans mon dos, j’en viendrai à bout, je les manipulerai et les mènerai tous en bateau, ils ne verront rien venir!...
En attendant, je rentre dans le rang. Parfois j’échappe à leur surveillance, et je rêve d’un accident, d’un tout petit et tout bête accident… disons, d’une jambe… un bras?... enfin, du sang…
dimanche 6 février 2011
Spécimen #2: Big Benne
Vous savez, la vie, quand on est gros, lourdaud, maladroit, lent, elle peut sembler bien longue. Alors quand on m’offre quelque chose à faire, ne serait-ce que manger dla neige, ben je le fais. Mon amoureuse me dit que c’est pour le bien de la collectivité. Pis, de toute façon, dans l’équipe, faut bien que quelqu’un fasse la job. Eux, ils ont tous des pelles, des grattes, des accessoires mécaniques sophistiqués. Ils m’impressionnent. Moi ma seule caractéristique c’est d’avoir un gros appétit…
Alors c’est avec lassitude que jour après jour, je mène mon petit bout de chemin. Je me contente de peu : la présence de ma tendre moitié, la douceur de la neige fraîche, et l’action de la ville. Avec un peu de chance, j’aurai droit à une retraite à la campagne, loin du stress de la voirie, et je transporterai de la terre, du sable et du gravier.
Quand j’étais jeune, je voulais être un camion-citerne. Je me voyais déjà, le ventre plein d’essence, transportant une cargaison d’une importance vitale pour mes collègues. On me vouerait le respect; on s’écarterait à mon passage. Mais mon père m’a toujours dit que j’étais pas mieux que lui, et que forcément je suivrais ses traces : camion à vidanges… Malgré tous mes efforts, je suis devenu trop gros, trop vite, et mon physique ingrat a ruiné mes chances dans le transport de matières dangereuses. À défaut de quoi je me retrouve maintenant chauffeur pour résidus de tempêtes.
Certes, c’est tout de même pas si mal. Je suis utile, mettons, 5 mois par année. Je fais partie d’une équipe solidaire : on travaille ensemble, sur les mêmes rues, sur les mêmes bancs de neige. On s’entraide, et je suis content d’avoir trouvé une famille qui m’aime, même s’ils m’appellent Big Benne. Ça j’aime moins par exemple. Je reste stoïque, mais je peux pas m’empêcher d’avoir une pensée pour ma mère, si douce, si gentille, si dévouée, qui m’a toujours appris à me tenir sur mes 22 roues pour mes droits. Si elle me voyait maintenant… Elle était le plus beau camion de recyclage de toute la ville, mais un accident atroce l’a défigurée, et son corps a été tellement mutilé qu’ils ont du l’envoyer à la fourrière en pièces détachées, elle, la grande écologiste. Elle me manque, même si je sais qu’elle n’approuverait pas la vie que je mène. Après tout, ma femme est une ordure…
mercredi 2 février 2011
la terre promise
Pendant combien de temps faut-il marcher dans une même direction pour que le dégoût que nous cause la futilité de l’entreprise ait raison de notre volonté?
Où nous trouverons-nous quand nous ouvrirons les yeux? Dans quelque lande aride, dans quelque ruelle sale? Entouré d’une foule, seul comme un prophète? Ce pèlerinage n’a aucun sens. Il faudrait se le dire dès maintenant, avant de commencer, pour ne pas être déçu quand nous ne terminerons jamais. Ces pas que nous alignerons, malgré tous nos efforts, ne formeront pas une ligne droite, pas plus que ces pensées qui nous traverseront l’esprit ne deviendront une littérature de grand chemin.
Peut-être fera-t-il froid; cela m’est égal. Chacun est libre d’emporter ce qu’il veut. Quant à moi, une couverture me suffira. Elle sera à la fois drapeau et chapeau, ailes et amarres, abris et débris. Marcher, oui, si la motivation nous tient, sans relâche, à perdre haleine, dans ses étourdissantes euphories et ses languissantes lassitudes. L’arrêt n’est pas une option, sauf quand le temps sera venu.
Certains diront que le but n’a pas d’importance. Nous les croirons sur parole, pour n’en avoir jamais eu, pour n’en avoir jamais eu l’intention non plus, enfin pour que la connaissance de la destination ne détourne pas notre caravane du vide d’intention dont elle saurait faire la preuve.
Hélas! Tôt ou tard nous serons las. Faute prévisible n’est pas pour autant expiée. Sans vergogne nous nous jetterons à l’eau, à terre, au feu s’il le faut. Nous perdrons la tête, et la notion du temps, et peut-être même notre chemin, après tout, ce périple est un tout-inclus. Mais comme nous n’allons nulle part, incontestablement nous continuons d’avancer.
Je nous vois déjà, glorieux, les deux pieds sur la terre promise, le corps dans le vent qui souffle sur la terre promise, la tête dans les nuages qui bordent le ciel de la terre promise. La terre n’est promise que parce que nous nous sommes dits : nous n’arrêterons pas tant qu’il y aura une distance à parcourir, c’est promis. Cette distance, nous ne l’avons pas calculée en mètres, ou en minutes, ou en respirations; elle s’est tout simplement déroulée sous nos idées.
Combien de temps avons-nous marché, pour que ce dégoût immense nous saisisse? Je ne dois pas oublier de vérifier en rentrant. L’inconsistance de nos actions étant ce qu’elle est, je ne peux pas dire que nous ayons réussi, pas plus que je ne tolérerais un jugement contraire. Nous sommes les entrepreneurs de la sottise, les bâtisseurs de la fantaisie, nous avons baissé les bras, baissé les yeux, plié les genoux face à l’appétit de la route. Maintenant que nous nous relevons, que reste-t-il du monde connu?
Nous chercherons sans relâche le chemin du retour, fouillant les recoins de nos mémoires, et suivrons les pistes qui nous promettront un retour à la raison, aussi loin qu’elles nous entraîneront.