Pendant combien de temps faut-il marcher dans une même direction pour que le dégoût que nous cause la futilité de l’entreprise ait raison de notre volonté?
Où nous trouverons-nous quand nous ouvrirons les yeux? Dans quelque lande aride, dans quelque ruelle sale? Entouré d’une foule, seul comme un prophète? Ce pèlerinage n’a aucun sens. Il faudrait se le dire dès maintenant, avant de commencer, pour ne pas être déçu quand nous ne terminerons jamais. Ces pas que nous alignerons, malgré tous nos efforts, ne formeront pas une ligne droite, pas plus que ces pensées qui nous traverseront l’esprit ne deviendront une littérature de grand chemin.
Peut-être fera-t-il froid; cela m’est égal. Chacun est libre d’emporter ce qu’il veut. Quant à moi, une couverture me suffira. Elle sera à la fois drapeau et chapeau, ailes et amarres, abris et débris. Marcher, oui, si la motivation nous tient, sans relâche, à perdre haleine, dans ses étourdissantes euphories et ses languissantes lassitudes. L’arrêt n’est pas une option, sauf quand le temps sera venu.
Certains diront que le but n’a pas d’importance. Nous les croirons sur parole, pour n’en avoir jamais eu, pour n’en avoir jamais eu l’intention non plus, enfin pour que la connaissance de la destination ne détourne pas notre caravane du vide d’intention dont elle saurait faire la preuve.
Hélas! Tôt ou tard nous serons las. Faute prévisible n’est pas pour autant expiée. Sans vergogne nous nous jetterons à l’eau, à terre, au feu s’il le faut. Nous perdrons la tête, et la notion du temps, et peut-être même notre chemin, après tout, ce périple est un tout-inclus. Mais comme nous n’allons nulle part, incontestablement nous continuons d’avancer.
Je nous vois déjà, glorieux, les deux pieds sur la terre promise, le corps dans le vent qui souffle sur la terre promise, la tête dans les nuages qui bordent le ciel de la terre promise. La terre n’est promise que parce que nous nous sommes dits : nous n’arrêterons pas tant qu’il y aura une distance à parcourir, c’est promis. Cette distance, nous ne l’avons pas calculée en mètres, ou en minutes, ou en respirations; elle s’est tout simplement déroulée sous nos idées.
Combien de temps avons-nous marché, pour que ce dégoût immense nous saisisse? Je ne dois pas oublier de vérifier en rentrant. L’inconsistance de nos actions étant ce qu’elle est, je ne peux pas dire que nous ayons réussi, pas plus que je ne tolérerais un jugement contraire. Nous sommes les entrepreneurs de la sottise, les bâtisseurs de la fantaisie, nous avons baissé les bras, baissé les yeux, plié les genoux face à l’appétit de la route. Maintenant que nous nous relevons, que reste-t-il du monde connu?
Nous chercherons sans relâche le chemin du retour, fouillant les recoins de nos mémoires, et suivrons les pistes qui nous promettront un retour à la raison, aussi loin qu’elles nous entraîneront.
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